Un PIB obsolète
Cet indicateur est clairement devenu notre principal boussole. A l'heure du COVID, tous les yeux se tournent vers le PIB pour mesurer l'impact de cette crise sur nos économies. Nombre de dirigeants utilisent cet indicateur pour orienter leurs décisions et in-fine, préserver la sacro-sainte croissance.
Rappel pour les allergiques de l'économie, le Produit Intérieur Brut permet de mesurer la création de richesse dans un pays, généralement sur une année. S'il est positif, c'est que vous avez créé plus de choses que l'année précédente, vous avez créé de la valeur, votre pays s'est enrichi. A l'inverse, s'il est négatif, vous avez détruit de la valeur.
Et si le PIB passait à côté de l'essentiel ? En effet, le PIB prend en compte uniquement l'activité économique et passe sous silence les inégalités au sein d'un même pays : inégalités économiques, sociales, de logement... Il n'est donc pas représentatif de ce que vit une population dans son ensemble. Et comme l'indique l'économiste Florence Jany-Catrice :
"Le PIB ne dit rien non plus de toutes ces « richesses » non monétaires et non marchandes qui sont massivement créées en cette période de confinement et dont l’utilité sociale ne fait pas de doute : le travail éducatif qu’exercent les parents à la maison, la préparation des repas, l’ensemble de cette activité domestique intense, surmultipliée par manque de relais extérieurs (…) Le PIB ignore les solidarités de proximité et l’entraide informelle qui se développent sur les territoires, pour faire face aux situations d’isolement des plus fragiles, ou pour permettre l’accès à des biens de première nécessité. Le PIB enfin est parfaitement insensible aux dégradations de patrimoines, au premier rang desquels le « patrimoine » écologique, mais aussi le « patrimoine social », cette capacité que nous avons, ou pas, à vivre ensemble."
Finalement, le PIB passe à côté de l'essentiel. Embêtant lorsqu'il s'agit de notre principale boussole...
Inscrire les préoccupations écologiques et sociales dans le fonctionnement de l'économie
En mai 2019, la loi PACTE réécrivait l’article du code civil définissant l’objet social de l’entreprise. Désormais, une entreprise, outre son objectif financier, doit être gérée « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Pour se faire, une entreprise peut utiliser les reportings, c'est à dire mesurer son impact via toute une série d'indicateurs. Par exemple, elle peut calculer son nombre d'arrêts maladie pour connaître son impact sur ses employés, calculer son rejet CO² et ses tonnes de déchets pour son impact sur la nature, et ainsi de suite.
Le problème est que ces données, bien qu'importantes, ne sont pas présentées sous la forme d'un coût monétaire et ne sont pas reliées au bilan financier de l'entreprise. Par conséquent, la performance financière de l'entreprise reste déconnectée de sa performance (ou contre performance) humaine et environnementale. Un peu comme notre PIB ci-dessus. Cela n'offre pas de lisibilité pour les actionnaires et les dirigeants qui par conséquent, tardent à transformer leurs entreprises.
Le modèle CARE
C'est pour y remédier que le fondateur du cabinet Compta Durable, Hervé Gbego, nous rappelle dans une tribune Le Monde le modèle CARE (Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l’Environnement). Ce modèle propose de garder au bilan le capital de l'entreprise mais d'y ajouter d'autres capitaux tout aussi important à préserver : le « capital humain » et le « capital naturel ».
"De même que, si l’activité de l’entreprise consomme du capital financier, elle doit en assurer la restitution, si elle « consomme » (dégrade) un capital naturel (atmosphère, sol, eau, biodiversité, etc.) ou un capital humain (santé physique, mentale, employabilité, etc.), elle doit en assurer la réparation ou le maintien en bon état de conservation. De la même manière que l’actionnaire attend que l’on préserve son capital financier, un salarié attend que l’entreprise respecte son intégrité physique et psychique."
Il n’est donc aucunement question de donner un prix à une personne ou à un arbre. Ce qui est comptabilisé au passif du bilan du modèle CARE n’est pas la valeur de marché, mais le coût total engagé par l’entreprise pour assurer le maintien de l’ensemble des capitaux.
Tout le monde veut créer de la valeur, mais on peut omettre cette étape cruciale qu’est la conservation du patrimoine. On ne peut pas créer de la valeur en détruisant le capital initial. Nier que l’entreprise dispose d’une dette écologique est par conséquent un non-sens. Plus la dette écologique est élevée, plus l’entreprise doit transformer son modèle économique.
Le modèle CARE est aujourd’hui enseigné par la chaire Comptabilité écologique à AgroParisTech, en partenariat avec Paris-Dauphine et l’université de Reims. La présence dans cette chaire de l’Ordre des experts-comptables de Paris-Ile-de-France est un signal fort qui doit inciter la profession à se mobiliser pour aider les entreprises à compter ce qui compte vraiment.
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